Lieux
La cale du navire
Le pont du navire
La cambuse
Personnages
Esteban
Le Cuisinier (Bartolomé “Lomo”)
Le Capitaine
Séquences clefs
1.Réveil en mer (séquence d’ouverture)
- Mal de mer, confusion, peur panique
- Révélation : le navire a quitté le port
- Esteban est prisonnier
2. Fouille du cuisinier – montée de tension
- Esteban tente de se cacher
- Le cuisinier cherche des provisions
- Suspense → Découverte
3. Confrontation dans la cale
- Dialogue menaçant/ambigu
- Lomo décide de le conduire au capitaine
- Ambivalence du cuisinier
4. Face au capitaine – sentence suspendue
- Esteban menacé d’être jeté à la mer
- Intervention du cuisinier
- Acceptation glaciale du capitaine
5. Arrivée dans la cambuse – nouvelle vie
- Lomo dicte ses règles
- Esteban prend conscience de la rudesse du travail
- Passage symbolique : de passager clandestin à “outil utile”
Le silence pesant de la cale est brisé par un grincement de bois et des pas lourds qui résonnent au-dessus de lui. Esteban émerge d’un sommeil agité, encore engourdi par la fatigue et l’inconfort du sol dur. L’air est lourd, saturé de l’odeur du bois humide, des embruns salés et d’une vague senteur de poisson en décomposition. Une nausée violente le prend, accompagnée d’un vertige oppressant. Le sol tangue sous lui avec une régularité implacable : Le navire a quitté le port!
La peur le prend à la gorge. Son esprit s’emballe, cherchant une explication. Il ferme les yeux un instant, mais c’est pire. Les roulis du navire s’intensifient dans son crâne, le privant de toute stabilité. Ses mains, crispées sur le bois rugueux, tremblent légèrement. Une vague de panique le traverse : s’il est sur un bateau, cela signifie qu’il est piégé. Et si le navire a déjà quitté le port…
Un bruit soudain le fige : une porte s’ouvre quelque part au-dessus, et des pas lourds descendent l’échelle de la cale. Son cœur se serre. Quelqu’un approche.
Son instinct de survie prend le dessus. Il retient son souffle, se recroqueville dans un recoin entre deux tonneaux, cherchant désespérément à se fondre dans le décor. Il ferme les yeux un instant, écoutant avec intensité chaque mouvement du marin.
Les pas résonnent sur le bois avec une lenteur pesante. L’homme est là, tout proche, et pourtant, il ne semble pas l’avoir encore vu. Puis une voix rauque s’élève, marmonnant dans la pénombre :
— Farine… sel… Par les tripes d’un vieux cachalot, où est encore passé ce satané tonneau de porc salé ?
Le cuisinier. Esteban sent un soulagement fugace en comprenant qu’il ne s’agit pas d’un garde comme il l’avait craint. Mais son répit est de courte durée. Le cuisinier ne trouve pas ce qu’il cherche et commence à fouiller plus loin, s’approchant dangereusement des tonneaux derrière lesquels Esteban est caché.
Il doit rester immobile, ne pas respirer trop fort. Chaque bruit du cuisinier fait monter en lui une nouvelle vague d’angoisse. Un instant, il croit que l’homme va repartir. Mais au lieu de cela, il s’arrête juste devant les tonneaux et grogne :
— Si je mets la main sur celui qui a déplacé mon tonneau, il va dormir dedans jusqu’au prochain port, et avec le couvercle fermé !
La main du cuisinier se tend vers l’un des tonneaux. Esteban serre les dents. Un seul mouvement, et il sera découvert.
Esteban sentit son cœur rater un battement lorsque des doigts épais surgirent de l’ombre, s’approchant du tonneau derrière lequel il se tapissait. Son souffle se coupa, son champ de vision rétréci sur cette main qui semblait flotter, gigantesque, menaçante. Dans son esprit affolé, elle prenait des proportions monstrueuses, comme si un ogre s’apprêtait à l’attraper.
Il voulait disparaître, s’enfoncer dans le bois du tonneau comme un rat pris au piège. Mais son corps, tendu comme un arc, refusa de lui obéir. Puis, au moment où la main frôla sa cachette, son propre cri s’échappa avant qu’il ne puisse l’enrayer.
Le cuisinier sursauta si violemment qu’il manqua de trébucher, lâchant un juron tonitruant. Dans la pénombre, il battit des bras pour retrouver l’équilibre avant de plaquer une main sur sa poitrine comme s’il venait de voir un fantôme.
— Nom d’un tonneau percé ! rugit-il en reprenant son souffle. Par la Sainte Barbe, T’as décidé de me faire passer l’arme à gauche, gamin !
Il secoue la tête et grogne.
— Si j’avais su que j’allais pêcher un rat des quais en cherchant du porc salé…
Esteban, lui, était pétrifié, incapable de répondre, luttant entre l’envie de s’enfuir et l’incapacité de bouger. La scène aurait pu être comique si son cœur ne battait pas à tout rompre, et si le cuisinier ne le fixait pas avec une lueur incrédule dans les yeux.
La silhouette massive du cuisinier se redressa dans la pénombre, son regard inquisiteur se posant sur le visage d’Esteban. Un long silence s’étira entre eux, lourd de tension. Esteban se recroquevilla un peu plus, prêt à détaler si l’occasion se présentait. Son instinct lui soufflait que cet homme était une menace – après tout, dans les ruelles de Séville, tout adulte était une menace.
Esteban, paralysé, scrutait cette ombre menaçante, attendant la sentence inévitable. Puis, contre toute attente, le cuisinier renifla bruyamment et grogna :
— T’es plus maigre qu’un hareng séché… et sûrement moins utile.
Esteban ouvrit des yeux ronds, incapable de déterminer si l’homme plaisantait ou s’il venait réellement de l’insulter. Le cuisinier leva un sourcil, puis secoua la tête en marmonnant quelque chose sur “ces fichus galopins des rues” avant d’ajouter :
— J’espère que t’es plus dégourdi que t’en as l’air, gamin. Sinon, t’es bon pour nourrir les poissons.
Esteban déglutit avec peine. “Nourrir les poissons”… La menace était claire, mais le ton bourru du cuisinier laissait planer le doute. Était-ce un simple trait d’humour noir ou une réelle mise en garde ? L’incertitude le laissait encore plus nerveux.
— Par tous les diables, qu’est-ce que tu fais ici, gamin ? grogna-t-il, penchant la tête pour mieux le voir dans la pénombre.
Esteban sentit son corps se tendre comme une corde prête à se rompre. Il hésita entre prendre la fuite et bredouiller une excuse, mais aucun des deux choix ne lui sembla prometteur.
Esteban, figé, hésite entre courir et se justifier. Mais avant qu’il ne puisse prendre une décision, le cuisinier, vif mais ferme, l’attrape par le col et l’observe d’un œil suspicieux.
— Tu n’es pas un marin, toi. T’as une tête de galopin des ruelles. Alors, parle avant que je décide de te jeter aux requins.
Esteban avale sa salive, cherchant les bons mots. Il bredouille une explication confuse, hésitant entre vérité et mensonge. Le cuisinier, intrigué, écoute, le sourcil froncé mais sans colère véritable.
Après quelques échanges où Esteban tente maladroitement de se justifier, le cuisinier finit par soupirer et secouer la tête.
— Écoute, gamin, c’est pas moi qui décide. Le capitaine verra ce qu’il veut faire de toi. Allez, en route, et fais pas d’histoire.
Il l’empoigne fermement, sans brutalité, et l’entraîne vers l’échelle menant au pont, Esteban jetant un dernier regard inquiet vers l’obscurité de la cale.
Esteban est traîné sur le pont du navire, le sel et le vent fouettant son visage alors que ses jambes flageolantes peinent à le porter. Son cœur bat à tout rompre, chaque pas vers le capitaine le rapprochant d’un sort incertain.
Lorsque l’homme en uniforme apparaît devant lui, Esteban sent immédiatement l’air glacial qui l’entoure. Le capitaine n’a pas besoin de parler pour imposer son autorité ; chaque mouvement est empreint d’une assurance absolue, celle d’un homme habitué à être obéi sans discussion. Son regard se pose sur Esteban avec l’indifférence d’un homme évaluant un obstacle de plus sur son navire, une contrariété passagère qu’il doit éliminer. Il n’y a ni colère ni mépris, seulement une résolution froide. Esteban frissonna, comprenant que son sort pourrait se jouer en un instant, d’un simple ordre jeté du bout des lèvres.
— Un rat des quais ? J’ai pas de temps à perdre avec ça. Jetez-le par-dessus bord, et qu’on en parle plus.
Esteban ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Les mots meurent dans sa gorge sous la pression écrasante de cet homme. Ce n’est pas qu’il ne veut pas parler, c’est qu’il sait que cela ne servirait à rien. Aux yeux du capitaine, il n’est rien.
— On n’a pas besoin de poids morts à bord. Qu’il montre qu’il sait tenir un nœud et obéir aux ordres, sinon il rejoindra les poissons avant la prochaine marée.
L’ordre claque comme un coup de fouet. La panique monte en Esteban, un frisson glacial lui parcourant l’échine. Il cherche désespérément une issue, une parole, un geste qui pourrait le sauver. Mais avant qu’il ne puisse sombrer dans l’inéluctable, une voix s’élève derrière lui.
— Attendez, capitaine.
C’est le cuisinier.
Esteban sursaute, sa surprise presque plus grande que sa peur. Pourquoi cet homme, qu’il percevait encore comme une menace quelques instants plus tôt, se mêlerait-il de son sort ? Était-ce un stratagème pour mieux le piéger ?
— Capitaine, avec votre permission, je peux m’assurer qu’il ne traîne pas dans les pattes des autres. Il pourra être utile en cuisine, au moins pour commencer. Si ça vous convient, capitaine. Sinon, il fera comme le reste des ordures : à la mer…
Un silence pesant s’installe. Esteban sent son propre souffle suspendu, comme s’il n’osait croire ce qui se passe. Le capitaine arque un sourcil, visiblement contrarié que le cuisinier prenne la parole, même si ce dernier veille à choisir ses mots avec prudence, sans jamais remettre en cause son autorité.
— Fais-en ce que tu veux, mais s’il ralentit le travail ou vole une bouchée de trop, tu t’en occupes toi-même. Je veux pas de poids mort à bord.
Le cuisinier s’incline légèrement, acceptant la décision sans commentaire superflu. Il attrape Esteban par le col et le tire à l’écart, évitant soigneusement d’attirer plus l’attention du capitaine.. Pour la première fois depuis qu’il est monté à bord, Esteban ressent autre chose que la peur : un soupçon de soulagement, et peut-être même une étrange reconnaissance envers cet homme qu’il avait d’abord pris comme une menace.
Le cuisinier emmène Esteban vers les entrailles du navire, le conduisant jusqu’à la cambuse, où une chaleur moite et l’odeur persistante de graisse et de fumée l’assaillent immédiatement. Autour de lui, des marmites bouillonnent, des sacs de provisions sont empilés contre les parois, et des couteaux luisent à la lueur des lampes à huile.
— Bienvenue dans la cambuse, gamin. Ici, c’est moi qui décide qui mange et qui trime. Tu bosses bien, t’auras une gamelle. Tu fous rien, et j’peux t’assurer que les rats, eux, sont jamais en retard pour dîner. On mange si on bosse, on râle si on veut, mais si t’es dans mes pattes sans servir à rien, t’apprendras vite que j’ai d’autres méthodes pour recycler les fainéants.
Esteban jette un regard paniqué autour de lui. Il a échappé à la cale, mais à quel prix ? Une montagne de travail l’attend : couper, éplucher, récurer. Chaque tâche semble plus ardue que la précédente. Ses mains, déjà endolories par sa fuite, vont devoir s’habituer à un tout autre enfer.
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