Chapitre 4

Lieux

Pont

Cuisine (évoquée)

Bastingage

Gréements / mâture (évoqué)

Personnages

Esteban

Luis alias “Mouette”

Rodrigo (gabier)

Marin anonyme (moqueur)

Séquences clefs

1. Corvées matinales

  • Description du rythme infernal à bord.
  • Esteban enchaîne les tâches sans répit.
  • Mise en place de l’environnement.

2. Scène des déchets & Mouette

  • Esteban se fait attaquer par les mouettes.
  • Introduction de Luis (« Mouette »).
  • Échange sur la vie de mousse.
  • Partage d’expérience et premiers conseils.

3. Arrivée de Rodrigo

  • Rodrigo confie une corde à Esteban.
  • Premiers essais de nœuds (cabestan).
  • Mise en évidence de la maladresse du mousse.
  • Rodrigo : démonstration, exigence, pression réaliste.

4. Moquerie du marin anonyme

  • Interruption par un marin qui se moque bruyamment.
  • Comparaison humoristique du nœud avec les promesses de marins en auberge.
  • Rodrigo intervient pour apaiser la moquerie → premier soutien discret.

5. Effort, douleur, réussite

  • Esteban échoue, recommence, souffre.
  • Parvient finalement à faire tenir son nœud.
  • Rodrigo valide sobrement → première victoire d’Esteban.

6. Annonce de l’escale aux Canaries

  • Clôture sur une tension intérieure : rester ou partir ?
  • Rodrigo le prévient : Esteban pourrait être débarqué.
  • Soudain vertige pour Esteban → prise de conscience.

Sous le soleil écrasant, Esteban frottait les planches du pont, ses mains rougies par des jours de labeur ininterrompu. Le bois grinçait sous lui, vibrant au rythme des vagues qui faisaient tanguer le navire. Au-dessus, les voiles claquaient dans le vent, et le bruissement des cordages résonnait parmi les ordres aboyés par les marins.

Dès l’aube, le pont s’agitait. Des matelots émergeaient des entrailles du navire, bâillant bruyamment avant de s’atteler aux corvées. Certains resserraient leurs ceintures de corde, d’autres passaient un peu d’eau sur leur visage avant d’empoigner un seau ou un balai. Le quartier-maître veillait à ce que personne ne traîne. Esteban, lui, bondissait sur ses pieds dès les premiers cris, le corps ankylosé de fatigue.

Les ordres pleuvaient sans relâche. “Gamin, plus vite !” “De l’eau pour la cuisine !” “Récurer le pont !” Il passait sans transition d’une tâche à l’autre : nettoyer le bois détrempé, porter des seaux d’eau jusqu’aux cuisines étouffantes, démêler des cordages sous un soleil de plomb. Chaque mouvement lui arrachait un grognement, mais ralentir signifiait s’exposer aux remarques cinglantes.

Peu à peu, malgré la rudesse du travail, il s’habituait aux oscillations du pont. Il anticipait les déséquilibres, ajustait ses gestes. Parfois, il surprenait un marin s’adosser au bastingage pour souffler une bouffée d’air salé, un court répit dans l’agitation incessante du navire.

Esteban était penché au-dessus du bastingage, vidant un seau rempli de restes de repas et d’épluchures. L’odeur forte lui piquait le nez. Un cri fendit l’air, et en un instant, une mouette plongea vers l’eau, suivie de plusieurs autres. Elles tournoyaient, se disputant la moindre miette avec frénésie. Esteban recula lorsqu’une aile effleura son épaule.

— Fais gaffe, elles peuvent être vicieuses, lança une voix moqueuse derrière lui. Une fois, l’une d’elles m’a frappé de son bec. J’en garde une cicatrice.

Esteban tourna la tête et aperçut Luis, un jeune mousse à peine plus âgé que lui, accoudé au bastingage avec un sourire narquois.

— Merci d’avoir pris cette corvée. J’en ai horreur.

Esteban arqua un sourcil. Il se souvenait maintenant pourquoi on surnommait Luis “Mouette”. Chaque fois qu’il vidait les déchets, il se retrouvait en guerre contre ces satanés oiseaux, moulinant des bras dans une bataille aussi spectaculaire qu’inutile. Les marins riaient, l’encourageant bruyamment, parfois en lançant du pain pour attirer encore plus de mouettes. Luis enrageait, mais elles, comme son surnom, ne semblaient pas prêtes à le lâcher.

Esteban secoua la tête en souriant avant de reprendre sa tâche.

— Et toi, ça fait combien de temps que tu es à bord ?

Luis haussa les épaules tout en repoussant une mouette trop insistante.

— Deuxième voyage à frotter le pont et à courir après les ordres. J’suis plus aussi vert que toi, mais crois-moi, j’suis encore loin d’être un vrai marin.

— Dis-moi que ça devient plus facile avec le temps ? demanda Esteban, un brin d’espoir dans la voix.

Luis ricana.

— Facile ? Mouais… Disons que tu finis par t’y faire. Mais y’a toujours un gars pour te remettre à ta place. T’as juste à bien bosser et espérer qu’un jour, quelqu’un d’autre prenne ta place avec la brosse.

Un bruit de pas lourds se fit entendre derrière eux. Rodrigo se planta devant Esteban, une corde enroulée dans les mains.

Le mousse leva les yeux. Il l’avait déjà aperçu à plusieurs reprises, mais jamais d’aussi près: Il était l’un des gabiers, chargé de grimper dans la mâture pour manœuvrer les voiles. L’équipage lui faisait confiance sans poser de questions. Grand et massif, le visage buriné par le sel et le soleil, Rodrigo semblait taillé pour la mer. Sa barbe naissante cachait en partie une expression sévère, mais son regard perçant pesait toujours sur ceux qui lui faisaient face.

Rodrigo fit rouler la corde entre ses doigts calleux, observant Esteban avant de rompre le silence.

— Bon, gamin, j’ai une tâche pour toi. Dis-moi, t’es capable de faire un nœud correct ou faut tout reprendre à zéro ?

Esteban ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit.

— Euh…

Rodrigo haussa un sourcil avant de soupirer.

— Ah ! Ça, c’est une réponse qui va nous faire chavirer, maugréa Rodrigo en levant les yeux au ciel. T’as déjà touché une corde de ta vie ou bien ?

Il fit rouler la corde entre ses doigts, puis la lança vers Esteban.

— Bon, regarde bien et essaie de suivre.

Il déroula la corde et montra lentement le geste.

— Allez, on commence avec celui-là. Un nœud de cabestan. Essentiel pour tenir une voile ou un gréement. Tu rates, et c’est pas juste une corde qui part, c’est peut-être nous tous avec.

Esteban s’appliquait, mais le roulis du navire et l’humidité ambiante compliquaient la tâche. Ses doigts glissaient légèrement sur la corde, et le nœud restait trop lâche ou trop serré. À chaque tentative ratée, Rodrigo secouait la tête. Derrière lui, un marin au crâne rasé et au sourire goguenard s’approcha en ricanant.

— Par tous les diables, gamin, tu crois que ça tiendrait par gros temps, ça ? ricana-t-il en croisant les bras. Il fit rouler le nœud entre ses doigts avant de le relâcher négligemment.

— “Un nœud aussi lâche, c’est comme les promesses des marins aux filles des auberges : beau en apparence, mais il tiendra pas jusqu’au matin !”

Le marin éclata de rire, secouant la tête avant de donner une tape exagérée sur l’épaule de Rodrigo.

Esteban, lui, sentit la chaleur lui monter aux joues.

— “T’as vu ça, Rodrigo ?
Rodrigo leva un sourcil, sans se départir de son calme.

— Allez, lâche-le un peu. On a tous commencé quelque part.

Il prit la corde qu’Esteban venait de nouer et tira dessus.

— Mais bon… c’est vrai que ce truc-là tiendrait pas très longtemps.

— Allez, ne l’embête pas trop, on a tous commencé un jour, grogna Rodrigo avant de croiser les bras.

Rodrigo fixa Esteban en silence avant de lui parler d’un ton plus posé.

— Et encore, tu es sur le pont, les deux pieds bien ancrés, ajouta-t-il avec un sourire moqueur. Il pointa du menton la mâture où les gabiers luttaient contre le vent pour affaler une voile. Imagine devoir faire ce nœud en pleine tempête, perché en haut du mât. et tout cela dans l’obscurité de la nuit?

Esteban serra les dents et recommença. Ses doigts lui faisaient mal, la sueur lui collait aux tempes. Il jeta un coup d’œil à Rodrigo, qui ne disait rien mais attendait qu’il comprenne de lui-même. Finalement, il ajusta ses gestes et resserra la corde.

Cette fois, elle tint bon. Il tira légèrement dessus, testant sa solidité, et sentit une satisfaction monter en lui.

Rodrigo hocha la tête, satisfait.

— Il faut que tu t’entraînes jour et nuit.

Il laissa un silence, puis reprit, plus bas :

— Et puis… Tu vas peut-être en avoir besoin plus tôt que tu ne crois. Quand on fera escale aux Canaries, rien ne garantit que tu pourra rester à bord. Alors retiens bien ce que je t’enseigne. Ça pourrait bien t’aider à convaincre un équipage de te prendre pour rentrer chez toi à Séville.

Rodrigo planta son regard dans celui d’Esteban. Il sentit une boule se former dans son estomac. Il n’avait jamais envisagé ce moment si proche.

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