Chapitre 9

La vie sur le navire était rythmée par le claquement des vagues contre la coque et le grincement incessant du bois sous la pression du vent. Le sel s’infiltrait partout, s’accrochant aux vêtements et piquant la peau, tandis que l’odeur âcre du goudron et des cordages humides emplissait l’air. Esteban accomplissait toutes les petites corvées. Un jour, alors qu’il balayait le pont, il remarqua le pilote du navire, occupé à manipuler ses instruments et ses cartes. Soudain, l’un des objets lui échappa et tomba lourdement sur le sol. Frustré, le pilote jura entre ses dents, avant de poser son regard sur Esteban.

“Toi, le mousse ! Ne reste pas planté là, viens m’aider !” aboya-t-il. “Ramasse ça et porte mon matériel, j’ai une réunion avec le capitaine et je ne peux pas être en retard.”

Esteban obéit sans discuter, ramassant les instruments dont il ignorait totalement le fonctionnement. Il suivit le pilote à travers les couloirs du navire, jusqu’à la cabine du capitaine.

La pièce était spacieuse pour un navire, éclairée par quelques lanternes qui projetaient des ombres dansantes sur les murs de bois. Une grande table occupait le centre, recouverte de cartes annotées et d’instruments de navigation : un quadrant, un compas, et un bâton de Jacob posés méthodiquement à côté d’un sablier.

Le pilote lui fit signe de poser le matériel sur la table. Tout en marmonnant, il vérifia ses documents et ordonna à Esteban de rester et de servir les rafraîchissements durant la réunion.

Le capitaine entra peu après, le visage grave. Il s’approcha immédiatement de la carte étalée devant eux.

“Alors, où en sommes-nous ?” demanda-t-il d’une voix ferme.

Le pilote traça du doigt un chemin sur la carte, son visage marqué par l’hésitation. “Capitaine, Nous avons suivi la côte jusqu’ici… si l’on en croit les dires des marins portugais qui pensent avoir découvert une nouvelle voie d’accès vers l’ouest aux alentours du 40e parallèle, nous devrions y arriver d’ici quelques dizaines de jours…  mais n’oublions pas que ces marins ne se sont pas engagés dans cette voie d’acces…”

Le capitaine hoche lentement la tête, observant la carte. “Nous pourrions avancer en longeant la côte encore quelques semaines, le capitaine Magellan est persuader que le passage existe et que celui-ci est bien la voie d’acces decrite par les dires de ces marins.”

Le capitaine posa un regard déterminé sur lui. “Nous ne sommes pas venus jusqu’ici pour faire demi-tour. Nous allons continuer.”

Esteban, silencieux, observa les instruments posés sur la table. Le pilote prit alors un quadrant et le leva légèrement.

“Ces instruments t’intéressent ?” demanda-t-il d’un ton plus doux qu’à l’accoutumée.

Esteban baissa les yeux, redoutant d’avoir laissé transparaître trop de curiosité. Il savait que sa place ne lui permettait pas d’interroger librement les officiers.

“N’aie pas peur,” reprit le pilote avec un léger sourire. “La curiosité n’est pas un défaut, bien au contraire. Pose tes questions.”

Le mousse hésita, puis osa enfin demander : “Comment savez-vous où nous sommes ? L’océan est toujours le même… il n’y a aucun repère.”

Le pilote hocha la tête, puis leva son quadrant devant lui. “C’est ainsi que nous savons où nous sommes. En mesurant la hauteur du soleil à midi, nous déterminons notre latitude. Le compas nous permet de garder notre cap. Quant au bâton de Jacob, il nous aide à affiner nos mesures en observant les astres.”

Il marqua une pause, avant d’ajouter d’un ton plus grave : “Mais la longitude, c’est une autre histoire. Nous devons l’estimer, en comptant les jours et en mesurant notre vitesse avec le loch et le sablier. Sans point de repère précis, c’est comme naviguer à l’aveugle sur une mer sans fin.”

Il posa doucement le quadrant sur la table et ajouta d’un ton mesuré : “Mais rassure-toi, pour l’instant, nous longeons la côte et nos cartes sont encore fiables. Ce sera une tout autre affaire une fois que nous entrerons dans ces eaux inconnues vers l’ouest, celles dont parlent les marins. Là, nous serons véritablement seuls face à l’inconnu.”

Esteban ressortit de la cabine et retrouva Rodrigo sur le pont, le regard encore perdu dans les discussions qu’il venait d’entendre. Le marin, occupé à nouer un cordage, leva un sourcil en le voyant approcher.

“T’as l’air songeur, gamin. T’as vu un fantôme là-dedans ?” lança-t-il avec un sourire en coin.

Esteban hésita, puis lâcha : “Ils parlent d’un passage au sud… Ils ne savent pas s’il existe vraiment. mais si ce passage n’existe pas?….”

Rodrigo soupira, resserrant son nœud d’un geste précis. “Les capitaines rêvent de gloire et de découvertes. Nous, on pense surtout à survivre jusqu’à demain.” Il tapota l’épaule du mousse. “Reste concentré sur ton boulot, c’est ça qui te gardera en vie.”

Esteban ne répondit pas immédiatement, son esprit oscillant entre l’enthousiasme d’un avenir inconnu et la réalité brutale du quotidien en mer. Il lui rapporta ce qu’il avait entendu, mais le marin haussa simplement les épaules.

“C’est l’affaire des pilotes et des capitaines, pas la nôtre, gamin. Nous, on obéit et on navigue.”

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