Lieux
Auberge/Taverne du port
Personnages
Esteban
Rodrigo
Miguel
Álvaro
Marin sceptique
Séquences clefs
Ambiance initiale
- Immersion dans l’auberge bruyante
- Introduction des personnages autour d’une table
Proposition d’un retour à Séville
- Rodrigo annonce l’offre d’Álvaro
- Miguel exagère les risques qu’il évite ainsi
Flashbacks et souvenirs d’Esteban
- Séville, la bande, la nostalgie
- Tiraillement émotionnel
L’appel de l’aventure
- Discours flamboyant de Miguel
- Vision idéalisée de l’expédition à venir
Le scepticisme du marin inconnu
- Mise en garde, paroles dures
- Tension verbale croissante dans l’auberge
Tension et interruption
- Début de confrontation
- Calme restauré par l’aubergiste
Déclic intérieur
- Réflexion intense d’Esteban
- Dialogue imaginaire avec Rafael
- Vision intime de ses amis restés à Séville
Le choix
- Esteban rejette la voie du retour
- Il choisit l’expédition, l’aventure, l’inconnu
Clôture symbolique
- Rodrigo et Miguel célèbrent son intégration
- Esteban annonce sa décision
Le vacarme de l’auberge bourdonnait autour d’eux, un mélange de chants de marins, de discussions bruyantes et du claquement des chopes contre le bois usé des tables. Une serveuse débordée arriva enfin à leur table, déposant les chopes en soufflant. “Pardon pour l’attente, mais il semble que tout le port ait décidé de boire ce soir.”
Elle ne s’attarda pas, repartant aussitôt vers une autre table où un marin réclamait du vin en frappant sur le bois. Rodrigo attrapa sa bière sans y prêter attention, mais Miguel suivit du regard la serveuse avec un sourire en coin.
“Ce petit brin de fille me ferait presque oublier la mer, tiens !” lança-t-il en riant.
Rodrigo secoua la tête, amusé, avant de se tourner vers Esteban. Une chandelle vacillante projetait des ombres mouvantes sur le visage d’Esteban alors qu’il terminait sa première chope.
“J’ai une bonne nouvelle pour toi, gamin. J’ai rencontré une vieille connaissance, Álvaro, sur le port. Son navire embarque pour Séville et il m’a confirmé qu’il pouvait te prendre à bord. Tu as une place pour rentrer chez toi.”
Miguel éclata de rire et secoua la tête. “Tu ne sais pas la chance que tu as d’avoir Rodrigo avec toi ! Sans lui, tu aurais pu moisir ici des mois, à errer sur les quais en quête d’un capitaine prêt à t’embarquer. Et en attendant ? Tu aurais mendié ton pain, vécu au jour le jour comme tant d’autres, en espérant qu’un navire ait besoin d’un mousse affamé.”
Rodrigo haussa les épaules avec un sourire complice. “Ne va pas croire que je t’ai offert ça sans raison. Tu as su prouver ta valeur ces derniers jours. Ton travail acharné, ta débrouillardise… c’est ça qui m’a permis de négocier ta place. Personne ne t’embarquerait pour tes beaux yeux, gamin.”
Esteban sentit son cœur se serrer. Séville. Ses rues poussiéreuses, les ruelles familières où il s’était faufilé tant de fois. La bande. Rafael, leur chef, toujours en train de planifier leur survie, deux coups d’avance sur les ennuis. Diego, bondissant d’un toit à l’autre en riant. Lucia, la plus fragile d’entre eux…
L’idée de rejoindre ses amis lui serra la gorge. Séville lui manquait déjà. Il revoyait Rafael, assis sur un muret, Diego, rieur, Lucia, fragile. Ses amis lui manquaient et il ne voulait pas les trahir. Ici, dans cette auberge étrangère, tout lui semblait lointain… un poids immense le quitta, un poids dont il n’avait jusqu’à présent pas conscience de porter… il pouvait rentrer chez lui…
Mais alors, pourquoi cette pointe d’excitation au creux de son ventre ? Pourquoi l’idée de reprendre le même quotidien lui semblait-elle… fade ? Ici, l’air sentait le sel et l’inconnu. Là-bas, il retrouverait la faim et les mêmes ruelles sombres. Et s’il n’était pas fait pour une vie dans l’ombre ?
Il inspira profondément et hocha la tête. “Merci, Rodrigo. J’imagine que ce genre d’opportunité n’arrive pas tous les jours.”
Il baissa les yeux sur sa chope, traçant des cercles du doigt sur le bois usé de la table. “Et puis… ça fera une belle aventure à raconter à Séville.”
Miguel posa sa chope avec un sourire en coin et secoua la tête. “Une aventure, oui… mais rien comparé à celle qui nous attend ! Tu n’as encore rien vu, gamin.”
Il se pencha légèrement vers Esteban, ses yeux brillant d’excitation. “Nous allons ouvrir de nouvelles routes, découvrir des terres dont personne ne connaît encore le nom. Ce n’est pas une expédition comme les autres. Mais ça, tu le sais déjà… nous reviendrons plus riches que tous les marchands de Séville réunis. L’or et les épices couleront à flot. Les Portugais ont leurs routes, nous aurons les nôtres. Ils croient dominer le commerce des Indes, mais l’Espagne est prête à leur montrer qu’ils ne sont pas les seuls à pouvoir ouvrir de nouvelles voies.”
Miguel tapa du poing sur la table, faisant vibrer les chopes. “Et c’est ça, l’aventure ! La vraie ! On racontera notre histoire dans toutes les tavernes d’Espagne, et les marins écouteront nos exploits avec envie. Les plus jeunes rêveront de suivre nos traces, et les vieux loups de mer diront qu’ils auraient voulu être à notre place. Et puis, imagine ! Les femmes tomberont sous le charme de nos récits, les belles dames des ports suspendues à nos lèvres, fascinées par nos épreuves et nos triomphes. Peut-être qu’enfin, on nous regardera comme des hommes qui ont bravé l’impossible.”
Un ricanement brisa le silence. Un marin plus âgé, accoudé à une table voisine, secoua la tête et laissa échapper un rire amer. “Des foutaises, tout ça. Une mission suicide. Ceux qui partent ne reviennent jamais.”
Rodrigo haussa un sourcil. “T’as quelque chose à dire, l’ami ?”
L’homme croisa les bras, jaugeant le trio d’un regard perçant. “J’ai vu des hommes partir, convaincus qu’ils allaient rentrer en héros. J’ai vu leurs corps nourrir les poissons. On en a vu d’autres qui parlaient comme vous… on ne les a jamais revus. Les courants traîtres et les maladies font plus de morts que les batailles, et pourtant vous vous croyez déjà des légendes. Vous croyez que la gloire vaut ça ?”
La discussion se fit plus virulente, les voix montèrent, et bientôt, les chopes claquèrent sur les tables. Rodrigo et Miguel s’étaient lancés dans une joute verbale musclée avec le marin sceptique. Les rires moqueurs se mêlaient aux éclats de voix, la tension montant à chaque échange piquant. Les chopes se soulevaient et s’abattaient contre le bois, tandis que les autres marins, spectateurs amusés, attendaient de voir si cela dégénérerait en bagarre générale.
Un coup de coude, un mot de trop… et l’atmosphère menaça d’exploser.
Mais avant que la première gifle ne parte, la voix forte de l’aubergiste coupa net l’agitation :
“Si vous voulez vous battre, sortez. Sinon, buvez et laissez les autres profiter de leur soirée.”
Un silence s’installa un instant, puis quelques rires fusèrent ici et là, comme pour dissiper la tension. Le marin sceptique haussa les épaules et retourna à sa chope en marmonnant, tandis que Rodrigo jetait un dernier regard moqueur à son interlocuteur.
Esteban, lui, observait la scène avec une fascination nouvelle. Ces hommes étaient libres, intrépides, capables de s’enflammer pour un rien, prêts à défendre leurs idées avec la même fougue qu’ils mettaient à lever l’ancre. Son regard glissa sur la table, effleurant du bout des doigts les entailles laissées par les couteaux des marins, ces marques d’histoires gravées dans le bois usé. Il ressentit un frisson, comme s’il pouvait déjà s’imaginer inscrire la sienne parmi elles. Ils vivaient une existence rude, sans attaches, sans certitudes, mais débordante d’aventures et de camaraderie. Il voulait en faire partie.
Il les enviait.
Rodrigo se tourna vers lui, un sourire mi-amusé, mi-sérieux sur le visage.
“Tu vois, gamin, il y aura toujours ceux qui auront peur. Mais la peur, elle ne t’emmène nulle part.”
Un instant, Esteban eu une vision de Rafael avec cette façon qu’il avait de froncer les sourcils chaque fois qu’une décision importante devait être prise. Il entendit presque sa voix, calme mais tranchante :
“Esteban, il faut être prudent dans la vie… Je l’ai toujours été pour la bande, toujours à réfléchir à tout ce qui pouvait mal tourner. Mais il ne faut pas que ça t’empêche d’agir.”
L’image de Rafael semblait vaciller dans son esprit, comme un souvenir lointain que le temps voulait effacer. Il savait que Rafael ne lui aurait jamais parlé ainsi… et pourtant, il était convaincu que c’était ce qu’il aurait voulu lui dire.
“Pars à l’aventure, Esteban. Vis ce que nous n’avons jamais pu vivre. Et reviens-nous avec des récits qui nous feront rêver.”
Un frisson lui parcourut l’échine. Il repensa à Diego, qui aurait éclaté de rire et lui aurait donné une tape dans le dos en le traitant de fou. À Lucia, qui aurait baissé les yeux, inquiète mais silencieuse, espérant qu’il rentrerait bientôt.
Mais rentrer bientôt… est-ce qu’il le voulait vraiment ?
Seville et sa bande était son monde, mais en même temps, une autre voix en lui murmurait que ce monde était devenu trop petit.
Esteban releva les yeux, son esprit encore en ébullition. Ses mains tremblaient légèrement, non par peur, mais sous l’élan irrésistible d’un choix qui prenait enfin forme. Son cœur battait plus fort, chaque pulsation résonnant comme l’écho d’une porte qui se referme sur son passé. Son regard balaya la table, captant l’ombre fugace de Rodrigo, l’éclat impatient de Miguel. Il sentit une chaleur nouvelle monter en lui, une adrénaline qu’il ne connaissait pas encore.
Un silence s’abattit, le vacarme de l’auberge s’effaçait peu à peu, comme si tout autour de lui attendait qu’il se décide. Il inspira profondément, fixa sa chope comme si elle détenait la réponse… puis releva la tête.. Puis, d’un geste mesuré, il posa sa chope, ancrant sa décision dans le bois de la table. “Je reste avec vous. Je veux voir jusqu’où cette route me mène.”
Un large sourire fendit le visage de Rodrigo. Miguel éclata de rire et leva sa chope. “Alors bois, gamin ! Parce que demain, nous mettons les voiles !”
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